...Hanane Ashraoui analyse les stratégies de Sharon et Bush après le soutien américain au plan unilatéral de Sharon.
D’un seul coup, le président américain George W Bush, dans un renversement révolutionnaire de la politique américaine au Moyen-Orient, a « réussi » à annuler non seulement la feuille de route mais aussi toute perspective de paix pour la région. En prêtant une légitimité à la pratique hors-la-loi et à la violation du droit international qu’est l’occupation israélienne, les Etats-Unis ont au fond nié les résolutions des Nations -Unies, y compris les 194, 242, 338, 1397, le droit humanitaire international et toutes les autres fondations légales sur lesquelles on doit baser une paix juste et viable.
En s’alignant totalement sur Sharon et son gouvernement extrémiste, les Etats-Unis préemptent et préjugent négativement des problèmes afférant au statut définitif - essentiellement les frontières, les colonies, Jérusalem, les réfugiés palestiniens et l’eau.
De plus, le président Bush se rend complice du premier ministre israélien Sharon en excluant complètement les Palestiniens en tant que partenaires dans des négociations qui doivent déterminer leur avenir. Ainsi, ironiquement, Bush s’est donné pouvoir non seulement pour négocier au nom des Palestiniens, mais aussi pour accepter des compromis et renoncer à leurs droits inaliénables.
Son acceptation du contrôle unilatéral de Sharon est en effet un accord significatif à la transformation de Gaza en gigantesque prison, complètement assiégée par Israël, sans aucun attribut de souveraineté ou d’indépendance. Israël maintiendra son contrôle total sur l’espace aérien, les eaux territoriales et les points de passage de Gaza. En outre le bantoustan que sera Gaza sera coupé du reste du monde, et beaucoup plus grave, du reste des territoires palestiniens de Cisjordanie et Jérusalem.
En accordant un soutien sans nuance à Sharon, Bush a implicitement autorisé Israël à user du « droit » de mener des incursions à Gaza et d’y maintenir une présence militaire alors qu’il accepte en même temps la position que Gaza n’est plus un territoire « occupé ». Les implications sont énormes, car ainsi Israël évitera toute obligation ou responsabilité selon les termes de la Quatrième Convention de Genève. A l’inverse, l’Autorité Palestinienne sera tenue pour responsable des problèmes (essentiellement de sécurité) auxquels [l’occupation] l’a mise dans l’incapacité de venir à bout.
Les Etats-Unis ont effectivement annulé la feuille de route et l’ont remplacée par le projet de Sharon de commencer une longue phase intérimaire pendant laquelle Israël aura le champ libre pour créer des faits irréversibles et éradiquer finalement toute possibilité d’établir un Etat palestinien viable sur les lignes du 4 juin 1967. Dans ce contexte Sharon a réussi à transformer le Quatuor en monopole des Etats-Unis et à marginaliser le trio restant. Il s’est également débarrassé du « cauchemar démographique » palestinien ainsi que des problèmes de « sécurité » de la Bande de Gaza surpeuplée. Il a exigé et obtenu un « paiement en retour » des Américains sous la forme de concessions territoriales et démographiques en Cisjordanie, y compris Jérusalem, afin de servir la politique expansionniste d’Israël.
Israël a manipulé les Américains de manière à gagner une légitimité rétroactive pour ses colonies illégales tandis qu’il avançait dans la construction punitive de son mur de séparation et l’acquisition de terres. Qui plus est, Israël a obtenu l’accord implicite des Américains pour sa politique d’assassinats (ce qui a encouragé Sharon à menacer la vie du président élu palestinien Yasser Arafat),de même que pour le siège et la fragmentation des territoires occupés. De plus, en promettant à Sharon de ne pas permettre d’autres initiatives de paix, dont l’initiative arabe adoptée au sommet de la Ligue Arabe à Beyrouth, Sharon a laissé passer l’occasion historique de réaliser une paix globale dans la région.
Dans un changement de politique sans précédent, les Etats-Unis sont devenus le partenaire de l’occupation israélienne illégale, se disqualifiant en tant qu’ intermédiaire non partisan. Ils ont enflammé la colère de l’opinion palestinienne, arabe, islamique et même de l’opinion publique globale en adoptant une politique aussi irresponsable, qui trahit une ignorance totale des réalités régionales, lui enlevant ainsi toute tenue et crédibilité. Plus sérieusement les Etats-Unis ont soufflé sur les braises de l’extrémisme, de la radicalisation, du fondamentalisme et de la violence, contribuant ainsi à créer du terrorisme et non à l’éliminer.
Au vu de ce que l’on vient d’exprimer, reste-t-il un espace pour rectifier la situation ou limiter les dégâts ?
C’est une obligation pour la communauté internationale de se préoccuper des conséquences négatives de cette myopie politique et d’y remédier. Le fait que le Quatuor se réunisse à New-York le 4 mai exige que soient présentées rapidement des mesures correctives qui commencent par la convocation d’une conférence internationale afin de reformuler un engagement global pour une solution négociée qui amènerait le retrait total israélien et l’établissement d’un Etat palestinien indépendant viable sur les lignes de juin 67. Cette conférence doit aussi réaffirmer les termes de référence légaux pour tout processus de paix et faire en sorte que tout problème afférant au statut définitif ne soit pas préempté ou qu’il n’en soit pas préjugé par des actions ou déclarations unilatérales des parties ou des parrains.
Le Quatuor peut faire une déclaration aux Palestiniens, apportant des assurances et des garanties, afin de réparer une partie des dégâts causés par les assurances données par Bush à Sharon. Il est aussi de la responsabilité du Quatuor d’incorporer tout retrait israélien dans le cadre de la feuille de route à un processus de paix en cours, avec une dynamique propre et des étapes de mise en oeuvre clairement établies. De plus le Quatuor doit entamer des négociations avec les Palestiniens afin d’élaborer un plan concret pour renforcer l’Autorité Palestinienne de sorte qu’elle puisse assumer ses responsabilités et le contrôle de Gaza. On ne peut pas traiter des problèmes de sécurité hors du contexte et de mesures économiques et politiques. Ce renforcement comporte entre autre le contrôle par les Palestiniens des points de passage par air, par mer et sur terre en coopération avec la communauté internationale et avec l’Egypte pour ce qui est de la frontière Philadelphie [de Rafah] en particulier.
Il ne serait pas raisonnable de permettre la poursuite de la mise à l’écart de l’Autorité Palestinienne, qui est légitime, ou la possibilité de conflit ou d’écroulement interne.
Cependant l’érosion continue du pouvoir de l’Autorité Palestinienne et son incapacité à communiquer avec son propre peuple, sans parler de la communauté internationale, demanderait l’intervention d’une tierce partie sous la forme d’arrangements transitoires. Des problèmes tels que l’eau, l’hygiène, l’énergie, le commerce et le travail parmi d’autres requièrent une coopération et un partenariat avec une partie palestinienne. Si l’Autorité Palestinienne reste dans l’incapacité d’agir, alors elle devrait accepter qu’une coalition internationale ou multinationale prenne en charge ces tâches, de même que la responsabilité complète de Gaza, de manière temporaire. Israël devrait alors remettre Gaza à un organisme ad hoc (une coalition de ceux qui le souhaitent) qui, à son tour et au moment opportun , en remettrait la responsabilité entière au côté palestinien dans le contexte d’un processus de paix viable et durable.
Au vu de la détérioration rapide sur le terrain il est urgent de transformer un désastre potentiel en une occasion d’espoir et de paix. C’est un test et un défi pour le Quatuor pour leur prochaine réunion.
Hanane ASHRAOUI,
Membre du Conseil Législatif Palestinien,
Secrétaire Générale de MIFTAH (Initiative Palestinienne pour la Promotion du Dialogue Global et la Démocratie).